Le séminaire de recherche ayant réuni des politistes, sociologues et anthropologues, a offert un aperçu des stratégies d’adaptation des réfugiés ukrainiens en France et en Géorgie. Les intervenants ont présenté des études de cas détaillées et des analyses approfondies, mettant en lumière les obstacles rencontrés par les réfugiés. 

Kateryna Ihnatenko, enseignant-chercheure au Département du travail social de l’Université Taras Shevchenko de Kharkiv. Suite au début de l’invasion russe de l’Ukraine, elle a dû quitter l’Ukraine. Elle travaille en ce moment à Ilia State University à Tbilissi dans le cadre du programme d’accueil de chercheurs ukrainiens MSCA4Ukraine. Son intervention s’intitulait “Lacunes systématiques dans les systèmes de protection des personnes handicapées parmi les réfugiés ukrainiens en Géorgie”.

La guerre en Ukraine a eu un grand impact sur de nombreuses vies, forçant plus de 7,8 millions de réfugiés à fuir vers les pays voisins depuis le début de l’offensive militaire russe. Parmi eux, plus de 160 000 Ukrainiens ont cherché refuge en Géorgie. Environ 25 000 réfugiés ukrainiens sont actuellement installés en Géorgie, avec des estimations indiquant qu’un nombre similaire devrait y rester pour une durée indéterminée.

Les besoins prioritaires des réfugiés ukrainiens comprennent un logement abordable, de la nourriture, des soins de santé, des frais de services publics, des vêtements et des informations à propos des services d’assistance disponibles. Cependant, 36% des répondants estiment ne pas recevoir suffisamment d’informations sur l’aide disponible. Diverses organisations, gouvernementales, comme le Ministère des Personnes Déplacées des Territoires Occupés, de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales de Géorgie, qui a été créé en 2008 lors de l’invasion de la Russie en Géorgie, et non gouvernementales, fournissent une assistance humanitaire aux réfugiés ukrainiens. Les organisations non gouvernementales ou les organisations de la société civile peuvent être : 

 Cependant, des lacunes persistent dans les soins de santé et le soutien psychosocial.

L’identification des besoins spécifiques des persones handicapées parmi les réfugiés ukrainiens est réalisée pas ces organisations à travers des entretiens, des formulaires Google Forms, et des enquêtes régulières auprès des bénéficiaires d’aide. Cependant, des défis persistent, tels que le manque de financement, le manque de coordination entre les organisations, ou le manque de données systématiques sur les personnes handicapées parmi les réfugiés. L’organisation “Volunteers Tbilisi” est un exemple de la façon dont les organisations de bénévoles fournissent une aide humanitaire aux réfugiés ukrainiens en Géorgie. Cependant, comme plusieurs autres, cette organisation rencontre des défis en matière de financement, de gestion et d’évaluation des besoins des personnes handicapées.

En conclusion, la prise en charge des réfugiés ukrainiens en Géorgie, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, n’est pas suffisante, en particulier en ce qui concerne les personnes handicapées. Les ONG se concentrent sur les groupes vulnérables de réfugiés, notamment les enfants et les parents, en organisant des activités sociales. Cependant, d’autres groupes vulnérables tels que les personnes handicapées ou les personnes âgées ne bénéficient pas de ces services. Cette situation les rend invisibles et restreint leur accès à d’autres services. Des collaborations plus étroites entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales sont nécessaires pour combler ces lacunes et garantir une intégration sociale efficace des réfugiés.

Denys Gorbach a continué la conférence en présentant les résultats de sa recherche, menée avec ses collègues sociologues ukrainiennes (Evgenia Polschikova et Anastasya Yaramchuk), sur les stratégies d’adaptation des réfugiés ukrainiens en France. Leur étude s’est concentrée sur trois régions françaises : la région parisienne, la région du Nord à travers Lille et le sud autour de Nice, en se penchant notamment sur la question du logement.

En France, contrairement à des pays comme l’Allemagne ou le Danemark, l’État ne fournit pas de logement aux réfugiés, ce qui crée des difficultés supplémentaires pour leur intégration. En Ukraine, depuis le début des années 90, une grande majorité de personnes ont vécu dans leurs propres appartements après la privatisation. Cela renforce la tendance au privatisme des pauvres, à la concentration excessive les plus pauvres dans la sphère privée. Normalement en Ukraine, une fois qu’une personne a assez d’argent, elle le remet au propriétaire et devient propriétaire. Lorsqu’ils sont réfugiés, ils n’ont pas la possibilité de demander à devenir propriétaires. En même temps, l’État décide que c’est aux individus de prendre soin de ce besoin. Les réfugiés ukraniens sont surpris par la complexité du marché de location français, nécessitant des garanties telles qu’un contrat de travail pour louer un appartement. Des Ukrainiens arrivés, tous, sans exception, étaient habitués à vivre seuls dans leur propre logement. Ainsi, personne n’était préparé à l’idée de devoir partager son espace avec toute une famille. Au début, tant les réfugiés que les familles françaises et les autorités pensaient que cette situation ne durerait que quelques semaines. Cependant, lorsque ces semaines se sont écoulées et que les Ukrainiens ne semblaient pas rentrer chez eux, la situation a commencé à se détériorer. Accueillir une famille pour quelques semaines est une chose, mais avoir cette famille étrangère chez soi pendant un an en est une autre.

Les Ukrainiens devaient s’adapter aux nouvelles conditions.L’étude a identifié trois groupes de stratégies d’adaptation employées par les réfugiés ukrainiens en France :

En conclusion, l’étude souligne les défis auxquels sont confrontés les réfugiés ukrainiens en France en matière de logement et d’intégration, ainsi que les différentes stratégies qu’ils déploient pour faire face à ces difficultés.

Karine Gatelier a présenté une analyse approfondie du système d’accueil des réfugiés ukrainiens en France, en se concentrant sur les expériences et les parcours de ces familles à travers différentes étapes du processus d’accueil institutionnel. Dans son travail intitulé “Lecture du dispositif d’accueil Ukraine à travers les parcours des réfugié·e·s”, elle a également analysé comment les réfugiés entrent et sortent du dispositif d’accueil.Un exemple concret a été donné, mettant en lumière le parcours d’une famille de sept personnes, arrivée en France le 16 mars 2022. Accueillis par Natalya, la marraine du fils de la famille, ils ont d’abord été hébergés chez ses voisins pendant deux semaines. Par la suite, ils ont trouvé refuge dans un village voisin, où un couple de retraités leur a offert un logement pour une période de trois mois. Pendant ce temps, les enfants ont commencé à suivre les cours à l’école française et ont poursuivi leurs études ukrainiennes à distance, tandis que la mère s’est adaptée à sa nouvelle vie, n’ayant pas encore appris le français et ne travaillant pas. Trois mois plus tard, la famille a pris contact avec une organisation du département de l’Isère à Grenoble. C’est ainsi qu’elle a été dirigée vers La Petite Pause, le premier point de contact où les gens ne sont pas censés rester plus de deux jours ; ensuite, l’association les oriente vers un autre lieu où ils peuvent vivre. La famille ukrainienne a passé tout l’été dans un couvent à la campagne, en dehors de Grenoble. Ils étaient confrontés à une grande incertitude quant à leur destination, ce qui leur donnait le sentiment de perdre leur chez-soi familial.L’isolement et les difficultés d’accès aux services et aux cours de français ont été des enjeux importants rencontrés par la famille pendant cette période. En meme temps, les travailleurs sociaux sur place ont noté un mélange de sentiments entre le sentiment de communauté chez les Ukrainiens et l’isolement. Après leur séjour au couvent, à la fin de l’été, ils ont déménagé vers un autre village situé dans le massif de la Chartreuse, où un couple de retraités leur a offert un hébergement pour une durée de neuf mois. Bien que ce nouvel emplacement fût un peu éloigné de Grenoble, la famille a bénéficié d’un soutien important, ce qui leur a permis de tisser des liens sociaux solides. Le père a pu les rejoindre en novembre 2022. Les parents ont déclaré que la vie était relativement stable à ce moment-là, mais ils ont regretté le manque de cours de français disponibles dans la région.

Grâce à l’aide des associations et de personnes rencontrées tout au long de leur parcours, la famille a finalement pu trouver un appartement à Echirolles grâce à l’aide d’une autre organisation. Bien que reconnaissants pour cette nouvelle autonomie, ils ont également exprimé un sentiment de perte par rapport à la vie familiale qu’ils avaient à Saint-Pierre-de-Chartreuse. Cependant, ils ont finalement pu sortir du dispositif d’accueil : les parents ont pu suivre des cours de français et les enfants ont trouvé de nouveaux amis.

Lors de la conclusion de sa présentation, Karine Gatelier souligne que les solutions d’urgence mises en place ont partiellement répondu aux besoins émotionnels des réfugiés d’être protégés. Elle note que jusqu’à aujourd’hui, ces réfugiés considèrent les familles françaises qui les ont accueillis comme leurs amis. Cependant, elle remarque que pendant cette période, ils n’ont pas eu l’opportunité d’apprendre le français et n’ont pas pu travailler, ce qui reste un défi pour leur intégration. Karine Gatelier émet l’hypothèse que le gouvernement français a mis en place ce dispositif d’accueil principalement comme une mesure d’urgence, sans envisager clairement la manière dont les personnes sortiront de ce système. Elle évoque le manque de planification à long terme de la part du gouvernement, soulignant qu’il n’a pas de vision claire quant à la sortie de ce dispositif et n’a pas prévu de solutions pour ceux qui ne peuvent pas s’intégrer ou quitter le dispositif par leurs propres moyens. Elle mentionne spécifiquement les personnes âgées et les personnes handicapées, qui se retrouvent dans une situation difficile en raison des faibles allocations ou du manque de soutien adapté.

Lors de la discussion sur la réintégration des réfugiés ukrainiens, plusieurs points de vue ont été exprimés.

Kateryna souligne que le processus d’intégration est souvent long et complexe, nécessitant une coopération entre plusieurs organisations et le gouvernement. Elle note également que de nombreux facteurs, tels que le logement, les ressources financières personnelles et la santé, influent sur le processus d’intégration.

Denys propose de revoir la façon dont nous catégorisons les réfugiés, les migrants économiques et les migrants politiques, en soulignant que cette classification est souvent basée sur la victimisation et ne reflète pas toujours la réalité vécue par les individus. Il met en avant le fait que de nombreux Ukrainiens ne veulent pas être désignés comme des réfugiés et souhaitent revenir en Ukraine dès que possible.

Karine insiste sur le fait que les réfugiés ukrainiens ont des besoins spécifiques en raison de leur expérience de guerre et que ces besoins doivent être pris en compte dans les politiques d’intégration. Elle observe également qu’il y a une différence entre les réfugiés arrivés il y a deux ans, qui envisagent désormais de rester, et ceux qui viennent d’arriver et qui espèrent rentrer chez eux dès que possible.

Kateryna explique que la relation historique complexe entre la Géorgie et l’Ukraine contribue à façonner le contexte dans lequel les réfugiés ukrainiens se trouvent en Géorgie. De plus, elle mentionne l’existence d’une diaspora ukrainienne établie en Géorgie, soulignant ainsi un réseau de soutien déjà présent dans le pays pour aider les nouveaux arrivants ukrainiens. Olga Bronnikova, maîtresse de conférences à l’Université Grenoble Alpes,  soutient cette idée de complexité quant à la situation des réfugiés ukrainiens en Géorgie. Elle explique que certains d’entre eux se retrouvent bloqués en Géorgie en raison de problèmes de papiers, comme ceux qui ont été détenus en Russie et qui n’ont pas de passeport valide. Cette situation particulière nécessite une approche spécifique pour aider ces réfugiés.

En résumé, la question de l’intégration des réfugiés ukrainiens soulève des défis complexes liés à la catégorisation, aux besoins spécifiques des réfugiés et à leur situation juridique. Il est clair que des enquêtes de recherche sur un temps long sont nécessaires pour comprendre l’évolution des stratégies d’adaptation des refugiés aux conditions de l’exil et de l’accueil. 

EXPO Photo
Rencontre & Vernissage & Visites guidées

Les membres du projet «Guerre en Ukraine: expériences, récits, résonances en Ukraine» porté par l’Université Grenoble Alpes (ILCEA4, CRESSON) et l’association Ukraine-Grenoble-Isère ont le plaisir de vous convier à l’exposition du photographe ukrainien. 

Alexander Chekmenev /
Олександр Чекменьов
Visages de la guerre / Faces of war

Depuis le début de l’invasion russe, Alexander Chekmenev, qui vit et travaille à Kyïv, photographie et récolte des témoignages des habitants de son pays.  A la croisée de la photographie d’art et du documentaire, son travail est aujourd’hui reconnu internationalement. 

Alexander Chekmenev est né en 1969 dans la région du Donbass. Il a commencé sa carrière comme photographe dans un petit atelier de sa ville natale. Durant son temps libre, il photographiait les gens affectés par la crise économique qui a fait suite à la chute de l’Union soviétique. Dans les années 1990, il documente de manière unique l’évolution des mines de charbon dans l’Est de l’Ukraine. En 1997, il déménage à Kyïv où il travaille toujours comme photojournaliste. Actuellement, il collabore avec New York Times Magazine et TIME magazine. Ses œuvres font partie de collections telles que celles du Rijksmuseum à Amsterdam, du Ludwig Museum and Märkisches Museum Witten en Allemagne et du Centre Georges Pompidou à Paris. En 2014, il reçoit le Grand Prix Photographer of the Year of Ukraine.

Le 15 décembre 2022, le portrait qu’Alexander Chekmenev réalise du Président Volodymyr Zelensky est publié en couverture du TIME et vendu 150 000 $ lors d’une vente aux enchères caritative organisée par Forbes en Ukraine. Cet argent a permis d’acheter des générateurs électriques destinés à une centaine d’établissements scolaires qui ont souffert durant l’occupation russe. 

Interview en français avec le photographe: https://desk-russie.eu/2022/06/17/alexander-chekmenev-photographier.html